24.12.2009. Voler entre l'air et l'eau...Du supersonique Hydroptère, aux libellules poids plume que sont les Moth, en passant par les trimarans Orma, les « enfants » du pionnier Tabarly ont merveilleusement fait fructifier leur héritage. Et pour décoller au-dessus de la mer, rien de mieux qu'une bonne paire de foils !
Droits ou courbes, voir même en "S" comme on l’a récemment vu chez les Suisses d’Alinghi, ces "ailes dans l’eau" permettent aux voiliers de prendre résolument de la hauteur. Rien d’étonnant donc que, cet hiver, le Maxi Trimaran Sodeb’O s’y mette aussi. Et pour bien comprendre le pourquoi du comment, interrogeons l’architecte Benoît Cabaret qui a signé avec l’anglais Nigel Irens des machines comme Fujifilm de Loïck Peyron, B&Q d'Ellen MacArthur, Idec de Francis Joyon ou bien sûr Sodeb’O de Thomas Coville.
Sodeb’O a engrangé 75 000 milles depuis sa mise à l’eau en Australie en juin 2007 et réalisé un tour du monde durant l’hiver 2008-2009. Comment analyses-tu ses performances ? "Comme Idec, Sodeb’O est un trimaran conçu pour le solitaire. Nous partions donc du principe logique qu’il ne serait jamais mené à 100% à l’échelle d’un tour du monde. Nous considérions plutôt que cela tournerait autour des 60% et que la coque centrale sortirait très peu de l’eau. Mais dans la pratique, Thomas et Francis (Joyon, skipper d'Idec) ont été en permanence au-dessus des polaires, c’est à dire du tableau de marche théorique de leur bateau. Ils ont navigué de façon plus aérienne, beaucoup plus sur le flotteur, à l’image des 60 pieds Orma. Ils ont vraiment poussé fort les machines. Cela nous a étonné et surtout énormément impressionné. Je me demande encore comment physiquement, ils ont réussi à faire ça."
Quelles sont les différences entre Idec et Sodeb'O ? "Pour la même largeur (16,50m), Sodeb’O mesure 32 mètres et Idec 29,70 ; avec un mât de 32 mètres pour le bateau de Francis et 33 pour celui de Thomas. Pour les lecteurs les plus techniques : Idec a été construit en infusion et Sodeb’O en « wet preg » (fibres de carbone pré imprégnées de résine). Thomas a aussi choisi un mât basculant, des appendices plus fins et plus longs et une somme de systèmes qui contribuent aux performances globales du bateau."
Cet hiver, Sodeb’O sera doté de foils, qu’est ce que c’est et à quoi cela sert ? "Ce qui freine un bateau, c’est tout ce qui est dans l’eau, coques, appendices…L’objectif est de réduire au maximum cette trainée pour pouvoir accélérer. Un foil ressemble à une aile d’avion qui passe à travers chaque flotteur et que l’on immerge à la demande, selon l’allure et les conditions de vent et de mer. Avec la vitesse, le foil soulage le flotteur qui s’élève hors de l’eau. Le poids du bateau repose ainsi sur la petite partie du foil restant immergée et la trainée est ainsi réduite à son strict minimum."
Pourquoi en installer maintenant à bord de Sodeb’O ? "En réalité, nous l’avions prévu dès la conception. Les bras avants et les flotteurs avaient été renforcés en conséquence. L’idée était d’avoir un bateau évolutif dans le temps, en perspective des records devenant de plus en plus exigeants et aussi pour participer à des courses comme par exemple la Route du Rhum l’année prochaine."
Quel gain peut-on en attendre ? "Il est difficile d’affirmer aujourd’hui que Sodeb’O ira de tant de nœuds plus vite à telle allure mais les foils auront un « effet turbo » évident sur le bateau, notamment aux allures de glisse pure, comme dans l’alizé, durant la Route du Rhum. C’est aussi une manière de renforcer la manière dont Thomas utilise déjà Sodeb’O avec la coque centrale hors de l’eau et un flotteur sous le vent allégé au maximum pour optimiser la vitesse et l’équilibre. Et enfin, dans de la mer formée, le système aide aussi à éviter l’enfournement (lorsque l’étrave plonge dangereusement dans la vague), un gain en sécurité comme en performance."
Comment s’organise la genèse de ce nouveau système ? "Martin Fisher (géophysicien, statisticien et spécialiste de la dynamique des fluides) dessine la géométrie des foils en prenant en compte les contraintes structurelles données par John Levell (calculateur de structure). J’assure les mises en plan et la coordination de la démarche architecturale pour Thomas et son équipe. Bernard Pointet conçoit le système de réglage des foils. Nicolas Groleau et son équipe construisent et grefferont les puits (pièces qui accueilleront les foils dans les flotteurs). Et enfin, les foils sont actuellement en construction à Brest chez Florian Madec Composite."
Et la vie de Thomas à bord de Sodeb’O va-t-elle changer ? "Le bateau sera sûrement plus léger à manier et plus rapide mais il n’y a que lui qui pourra vraiment répondre après les premières navigations de tests en avril prochain."
Propos recueillis par J.Huvé |